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L’objet non identifié était situé juste en face de l’Ombre de Jade. C’était une sorte d’ovale obscur et distordu d’à peu près la taille d’un pouce humain. Les capteurs firent état d’une masse presque aussi dense que de la glace, ce qui était chose plutôt rare, et même quasiment impossible à voir flotter en totale liberté dans le vide interstellaire. Mais les données infrarouges indiquaient que la température de son noyau variait entre le très chaud et le suffocant, tandis que le spectrographe démontrait l’existence d’une atmosphère. Ce qui suggérait que l’endroit était habitable.

Mara l’avait déjà perçu grâce à la Force, mais elle pouvait sentir une étrange présence à l’intérieur de l’objet. Une présence diffuse, ancienne et absolument gigantesque. Il y avait également d’autres formes de vie, plus familières – plus petites, plus nettes et comme enfermées dans le sillon brumeux de l’entité plus importante. Mais aucune trace de Jaina et des autres.

Mara jeta un œil sur un réticule d’activation en face du cockpit. Une petite partie de la verrière en plexalliage faisait désormais l’effet d’un miroir et elle vit le reflet de Luke et de Saba Sebatyne, assis dans les sièges du pilote et du copilote.

— C’est le moment de faire une petite reconnaissance, non ? demanda-t-elle.

— Qu’est-ce qu’une reconn… recoinn… wreckonn… ?

La question provenait de derrière le siège de Luke, où un jeune garçon aux cheveux roux, aux yeux bleus enflammés et aux multiples taches de rousseur était en train de la scruter d’un air interrogateur.

— Une reconnaissance, Ben. Ça veut dire, jeter un œil. (A la vision de son fils, le cœur de Mara se réchauffa d’un coup mais elle se força à adopter un ton sévère.) N’es-tu pas censé jouer avec Nanna ?

— Les modules de jeu de Nanna sont pour les bébés, se plaignit-il. Elle voulait me faire jouer aux Teeks et aux Ewoks.

— Et pourquoi n’y joues-tu pas ?

— Je l’ai éteinte.

— Comment ? demanda Mara. Son bouton « marche » est camouflé sous l’armature de son cou.

Ben détourna le regard, avec toute la désinvolture que son jeune âge impliquait.

— Je l’ai obligée à se baisser pour me le montrer.

— Ce n’est pas très sympa de déconnecter Nanna, dit Mara. Ces circuits ont une protection par pulsation. Comment penses-tu qu’elle va se sentir après une déconnexion d’urgence ?

— Stupide. (Ben jubilait presque.) Je l’ai déjà déconnectée trois fois, avant ça.

Un rire gras et amusé s’échappa des lèvres graniteuses de Saba Sebatyne, ratatinant littéralement le petit Ben dans la trappe et étouffant même l’exclamation de Luke.

— Quoi ? Ne me dis pas que…

Ben acquiesça, mais ses grands yeux restèrent rivés sur le visage tout cabossé de Saba. Luke tira son fils à l’intérieur de la cabine de vol.

— Promets-moi de ne plus recommencer, fit Luke. (Mara voyait bien qu’il était, lui aussi, préoccupé par les espiègleries de Ben. Il y a bien longtemps, ils avaient décidé de confier l’éducation de leur fils à quelqu’un d’autre tandis qu’ils arpentaient la galaxie et remplissaient leurs missions en tant que Maîtres Jedi. Mais tous deux savaient pertinemment que ce choix exigeait beaucoup de discipline de la part du jeune Ben.) Nanna ne pourra plus te protéger si tu la déconnectes sans arrêt.

— Mais si elle est aussi stupide, comment peut-elle me protéger ? rétorqua Ben. Un droïd de défense n’est pas censé être plus bête que l’enfant dont il s’occupe.

Au lieu de lui expliquer les complexités de la programmation de dévouement total, Mara dit :

— Ben, réponds à ton père, veux-tu ? A moins que tu ne préfères rester à l’académie la prochaine fois que lui et moi partons en voyage ?

Ben médita un instant puis il prit une longue inspiration.

— D’accord. Je le promets, dit-il en se tournant vers Luke.

— Tu m’en vois ravi, répondit Luke. Tu devrais peut-être aller la réactiver.

— Mais je veux voir Jaina !

— Jaina n’est plus là, fit Mara.

— Comment tu le sais ?

— La Force, expliqua Mara. Si elle était là, ton père et moi le saurions.

— Ou peut-être pas. Tu ne peux pas tout deviner, rétorqua Ben.

— Nous ressentirions sa présence, dit Luke.

— Maintenant, obéis à ton père. (Mara tendit le pouce en direction de la cabine principale.) Va redémarrer Nanna et reste avec elle jusqu’à ce qu’on devine où se cache Jaina.

Ben ne discuta pas, mais il ne fit pas demi-tour pour autant.

— Si le petit Ben n’y va paz, Saba le surveillera. (La Barabel fit pivoter son siège et lui adressa un clin d’œil avec sa pupille fendillée.) Il peut même s’asseoir sur sez genoux, s’il le veut.

Les yeux écarquillés, Ben tourna les talons et disparut dans le couloir d’accès. Saba lâcha un sifflement à la fois amusé, doux et bienveillant. Mara songea un instant que les sentiments de la Barabel étaient peut-être humains. Peut-être.

— Ne le laisse pas t’embêter, Saba, dit Mara. Nous-mêmes, nous ne savons pas ce qui lui arrive ces derniers temps.

Saba cligna deux fois des yeux, en direction de Mara.

— Ben se cache de la Force, fit-elle. Il est d’ailleurs assez surprenant que vous deux ne l’ayez pas encore remarqué.

— Nous l’avons remarqué, coupa Luke. Ce que nous ne comprenons toujours pas, c’est pourquoi. Il a commencé à se renfermer sur lui-même juste après la guerre.

— Ben dit qu’il veut ressembler à son oncle Yan et opter pour la manière forte, ajouta Mara. Mais je crois que ça va au-delà de cela. Son état dure depuis trop longtemps pour n’être juste qu’une simple phase.

Mara n’ajouta pas et il devient trop fort à ce petit jeu, peut-être parce qu’elle savait combien cela la terrifiait. Elle en avait bavé pour dénicher la Force chez son fils. Quant à Luke, il avait parfois du mal à ressentir totalement la présence de Ben.

— Intéressant. (Saba huma l’air ambiant d’un coup de langue puis se tourna en direction du couloir d’accès.) Peut-être n’aime-t-il pas la manière dont la guerre z’est terminée.

— Ou peut-être pas, ajouta Luke. Nous avons essayé de le protéger mais c’était tout bonnement impossible.

— Il s’est déjà passé trop d’événements terribles, dit Mara sur la défensive. La Force s’est emplie de beaucoup trop d’angoisse.

— Et nous aussi, ajouta Luke. Voilà ce qui nous inquiète, Saba… Peut-être que Ben se cache de nous.

— Dans ce cas, vous n’avez aucune raison de vouz inquiéter, fit Saba. Ben ne ze cachera pas de vous éternellement. N’importe qui peut deviner combien ze petit est attaché à ses parents.

Luke la remercia pour son ton rassurant puis demanda à R2-D2 de lui apporter l’image infrarouge de l’objet non identifié. Ce qui ressemblait à un amoncellement de cellules sanguines palpitantes fit son apparition sur l’écran de contrôle de Mara. Chaque cellule avait un cœur blanc et irrégulier entouré d’un halo rosâtre, et elles étaient toutes reliées les unes aux autres par un filet noueux de gouttes rougeâtres et ruisselantes.

— On dirait un réseau de modules hôtes, observa Mara.

— Et ça rezzemble à une montagne de rangi, ajouta Saba.

— Là, on va enfin quelque part, dit Luke. Au fait, les rangi sont… ?

— Très savoureux ! (Dans un sifflement quasi hystérique, Saba se leva et quitta la cabine de vol.) Je vais prendre le FurtiX et partir en reconnaissance.

— Mieux vaut rester prudents, observa Mara. (Sur l’écran à infrarouge, une bande de minuscules petits cercles blancs prenait vie en s’embrasant à quelques centimètres seulement de l’objet non identifié.) Du moins, avant de savoir ce que c’est.

Les cellules en forme de cercles se mirent à tourbillonner et à grossir. Il devait bien y en avoir plus d’une centaine. Des cercles encore plus minuscules naquirent en s’enflammant avant de se mêler aux autres. Mara effectua une série de contrôles sur les systèmes automatisés afin de réchauffer les circuits de combat de l’Ombre.

— Plus bas…

Les canons rétractables de l’Ombre se mirent en position de tir. Luke arma les torpilles à proton et ouvrit les écoutilles des tubes de lancement.

— R2, dis à Nanna de mettre à Ben son gilet de sauvetage, ordonna Luke.

R2-D2 protesta dans un gazouillement électronique.

— Personne ne dit qu’ils vont tirer, fit Luke. Nous voulons juste nous tenir prêts.

R2-D2 lança un nouvel avertissement.

— Vraiment ? répondit Luke. Tant que ça ?

Mara jeta un œil sur l’écran de contrôle et vit que de nombreux numéros venaient s’ajouter au compteur.

— Cinq cents ? souffla-t-elle. Qui peut bien envoyer cinq cents appareils pour enquêter sur un simple intrus ?

R2-D2 pépia d’irritation et Mara reçut un message lui indiquant de rester patiente. Le droïd essayait toujours de rassembler les données sur les vaisseaux. En étudier la provenance serait pour plus tard.

— Excuse-moi, fit Mara, tout en se demandant depuis quand elle était intimidée par les droïds astromécaniciens. Prends ton temps.

R2-D2 prit note avant de lui fournir quelques données sur les systèmes de propulsion utilisés.

— Des fusées ? demanda Luke, incrédule. Tu veux dire comme des vieilles fusées nucléaires ?

R2-D2 gazouilla, de nouveau irrité. La note sur l’écran de Mara indiquait : Fusées chimiques. Méthane / Oxygène, impulsion spécifique à 380.

Luke siffla à la lecture du dernier chiffre.

— Au moins, on peut toujours déguerpir d’ici.

— Des Jedi, en train de fuir ? s’exclama de nouveau Saba.

L’image sur l’écran de contrôle de Mara se mua en une sorte de pâté infrarouge. Elle leva les yeux et aperçut un petit bouquet d’étoiles scintillantes pile poil entre l'Ombre et l’objet non identifié. Le nuage tourbillonnant devint, quant à lui, plus large et plus brillant. Puis, il se divisa en deux. D’un côté, des flammes jaunes s’échappant des fusées et de l’autre, des explosions vertes et brillantes qui ressemblaient fortement à des signaux stroboscopiques.

Mara déclencha l’activateur ionique.

— Ça vous dit quelque chose ? (Elle opéra un virage afin de laisser un peu de distance à l’Ombre.) Avec toutes ces manœuvres évasives, ce truc-là se prépare au combat…

R2-D2 se mit à triller de panique.

Mara jeta un œil sur son écran de contrôle et dit :

— Quel est le code secret ?

R2-D2 bourdonna d’impatience.

— Impérial ?

Mara regarda à travers la verrière. L’espèce de nuée était suffisamment proche pour révéler la coque élancée et lustrée d’un petit appareil de combat, écartelé entre les spots stroboscopiques et la traînée enflammée des fusées. Dans le vaisseau le plus proche, Mara put presque discerner une paire d’antennes incurvées, collées contre la verrière intérieure du cockpit. Deux yeux bulbeux étaient en train de la dévisager.

— Comme pour l'Empire de Palpatine ?

R2-D2 acquiesça en ronchonnant.

— Alors, dis-moi ce qu’ils sont en train de raconter, ordonna Luke. Et cesse de parler à Mara sur ce ton.

R2-D2 s’excusa mollement et le message suivant apparut sur l’écran de contrôle de Mara :

Lizil vous souhaite la bienvenue… Tous les nouveaux arrivants doivent entrer par le portail central.